Recherche sur un nouveau tableau de Marin Marais comme jeune homme

Tableau d’un violiste au château de Blois recherche réalisée par Sylvia Abramowicz, Jonathan Dunford et Corinne Vaast

tableau_blois

(N.B  Cliquez sur les images pour les agrandir)

Les archives de château de Blois indiquent que ce tableau est entré dans les collections permanentes du musée de Blois avant 1861.

A cette période il était alors attribué au peintre Jean Dieu dit Saint Jean, et le portrait du musicien était  identifié comme étant celui de Marin Marais.

Voici le registre (une copie circa 1960 l’original a été brûlé) :

registre_Blois_1

Il faut rappeler qu’au milieu du XIX°siècle, on ne s’intéressait ni à la viole ni à Marin Marais. Puis de nombreux articles ont été écrits dans les journaux locaux ; tous les articles stipulaient que le personnage représenté dans le tableau était Marin Marais. Voici un extrait des archives de château de Blois (1888) :

registre-Blois_2

Dans les années 1960, le tableau a été restauré par les ateliers du Louvre, et certaines personnes, dont la célèbre Madame de Chambure, ont déclaré que le violiste portraituré était Johann Schenk et non Marin Marais.

Les spécialistes d’iconographie d’alors ont attribué de façon erronée le tableau à Netscher. Celui s’explique par le fait que deux tableaux, tous deux de la même dimension ont été donnés au musée de Blois, la même année par le même donateur.  Comme vous pouvez le constater, le tableau placé au dessus de celui du violiste évoque par certains traits la veine de Netscher, et le personnage de ce tableau a été identifié comme étant la princesse palatine, mère du régent habillée en Diane (en 1869) :

deux_tableaux

princesse

En fait l’autre tableau n’est ni la Princess Palatine ni un tableau de Netscher et n’a rien à voir avec notre tableau à part qu’il a été donné au musée au même temps.

Puis l’expert iconographe A.P. De Miromonde dans « Revue de Musicologie »  en 1965 n’a vu que six cordes à la viole,

« Remarques sur l’iconographie musicale » (page 7) ,

« Le musée de Blois possède un portrait de musicien jouant de la basse de viole…Dans le tableau, la viole n’a que six cordes et le modèle plus de 19 ans ». :

cordes

Et elle a identifié le portrait comme étant celui de Johann Schenck en se basant sur une gravure exécutée par un parent de Johann Schenck, Pieter Schenck, représentant un violiste dans une position analogue à celle du personnage du tableau.

Cette hypothèse a été répétée maintes fois à partir des années 1960 :

gravure_Schenk

François Lesure et Florence Getreau ont (re)attribué le tableau à Jean Dieu dit Saint Jean. En 1998 Florence Getreau a publié un article dans Musique-Images-Instruments « Les archets français aux XVIIe et XVIIIe siècles, quelques repères iconographiques » :

article_getreau

Florence Gétreau émet l’hypothèse suivante : « Il se pourrait s’agir de l’un de fils de Marin Marais, représenté par le peintre Jean Dieu dit Saint-Jean (1658-1715) parrain du modèle et auteur de la gravure de mode bien connue Homme de qualité jouant la basse de viole  datée de 1695, qui reprend la composition de ce précieux tableau, avec la viole appuyée sur un tabouret » :

gravure_St_Jean

En faisant des recherches sur les gravures de Jean Dieu dit St. Jean au département des Estampes à la Bibliothèque Nationale de France et au Musée Carnavalet nous nous sommes rendus compte que les gravures de Jean Dieu dataient de (collection au musée Carnavalet)  : 1685, 1688, 1689, 1690, et 1693.

La plupart de ces gravures sont des gravures de mode, une seule est intitulée « femme de qualité jouant une guitare », de nombreuses autres ont pour sujet, le roi et sa famille.

En voici une due à Jean Dieu dit Saint Jean représentant Louis XIV :

jeandieuslousXIV

Je vous invite à consulter l’article suivant qui est paru avant la restauration du tableau du musée de Blois aux ateliers de Louvre en 1961.

A. Tessier, « Quelques portraits de musiciens français du XVIIe siècle », paru dans le Bulletin de la Société d’Histoire de l’Art français en 1924 :

tessier Voici la signature dont parlait M. Tessier :

signature_tableau

La même gravure est d’ailleurs reprise dans une copie du manuscrit de Manchester illustrant un noble jouant de la lyra-viol (17ème siècle).

« A gentelman of quality playing the viol di gamba » :

gravure_St_Jean

Je fais un petit point sur ce tableau :

1 – Le tableau du musée de Blois n’est pas de Netscher.

2 – Le musicien n’est pas Schenck.

3 – La partition sur le tabouret est de Marais, il s’agit du 3ème prélude de son 1er livre, disposée différemment que dans la version imprimée du 1er livre publié en 1686 :

detail_partition Regardez maintenant le visage du musicien dans le tableau de Blois et le célèbre tableau de Marin Marais par André Bouys qui est actuellement au musée de la musique à Paris et la médaille en bronze réproduite dans « Le Parnasse François » d’Evrard Titon du Tillet paru en 1732 après la mort de Marais.

Il faut savoir que le tableau d’André Bouys a été peint quand Marin Marais avait une cinquantaine d’années. L’original a été exposé accompagné de sa gravure au salon de 1704. L’original a été perdu, et le tableau qui est exposé au musée de la musique n’en est qu’une réplique, exécutée donc à partir de sa gravure. Cela peut expliquer la différence de couleur des yeux dans les deux tableaux ci-dessous :

visage_Bloisvisage_ParisMarais_medaillon

Regardez aussi l’ornement des chaussures dans le tableau de Blois et le tableau de Paris :

chaussures

3 – Si on voulait établir une date de l’exécution de ce tableau, nous pourrions comparer les habits dans d’autres tableaux de cette époque :

costumejpg

4 – En supposant que le tableau est bien de Jean Dieu de Saint Jean ;

Ses dates : (né le 16 février 1654  – 1695)

Dates de Marin Marais (1656 – 1728) Contrat de mariage entre Marin Marais à Catherine Damicourt 21 septembre 1676 Vincent Marais (né vers 1677) Anne-Marc Marais (né en novembre 1679) Roland Marais (c.1680-c.1750) Jean Louis Marais (1692 – après 1747)

Ie livre de Marais  – 1686

Comme je l’ai déjà constaté « la mise en page » du manuscrit dans le tableau n’est pas la même que dans le 1er livre imprimé, et le peintre s’est appliqué à peindre dans leur intégralité, les notes, les doigtés et même les ornements :

prelude_comparaison

Le manuscrit du tableau ressemble fortement au manuscrit 9466 de la Bibliothèque nationale d’Ecosse (manuscrit olographe de Marin Marais) même si ce prélude n’y figure pas. Je dirais que cela indique que le tableau a été exécuté avant la publication du premier livre de Marais en 1686. Si jamais le violiste du tableau était Schenck, il semblerait d’autant plus étrange qu’il posa  avec la version manuscrite du 3ème prélude du 1er livre de Marin Marais , un livre imprimé et célèbre dans toute l’Europe.

(Manuscrit 9466 de la Bibliothèque Nationale d’Ecosse (avant 1685) :

ms_edn

Quant aux enfants de Marin Marais :

 Vincent n’ aurait eu que neuf ans, Anne Marc 7, Roland aurait eu 6 ans, Jean Louis 3 ans…

On est certain que Jean Dieu dit Saint Jean est mort en 1695 (et non 1715);

 Jean Dieu de Saint Jean  = je cite Marianne Grivel dans Le commerce de l’estampe à Paris au XVII ° siècle « dessinateur et marchand d’estampes né vers 1655, mort en 1695 ».

Il aurait été dessinateur et non graveur, et aurait à l’occasion vendu les estampes gravées d’après ses desseins, sa veuve, elle, par contre vend, je cite Marianne Grivel dans , «  en 1698, la veuve Saint Jean vend à Paris « sur le quay Peltué à la pomme d’or » un portrait de la duchesse de Bourgogne gravé d’après le dessin de son mari » cf Bibli nat Est Coll Hennin, t.84

Voici en extrait de l’article de Catherine Massip dans Imago Musicae IV ( 1987) sur

« Les personnages musiciens dans les gravures de mode parisiennes « 

page 147 :

massip

et finalement :

extrait des dictionnaires historiques d’après des documents authentiques inédits » par A. Jal, 1867.
Ce dictionnaire est très important parce-qu’il était constitué

avant que les registres parroissiaux et l’état civil brulent en
1871 lors des 2 incendies de l’Hôtel de ville, durant la commune de Paris.

dictionaire_JAL_titre jal

Par ailleurs Jean Dieu de Saint Jean a été parrain d’un enfant de Marin Marais.

Voici un extrait du livre de Sylvette Milliot et Jérôme de la Gorce sur Marin Marais (pages 61 et 62):

Jean Louis Marais est né le 19 juillet 1692, baptisé le même jour à St Germain l’Auxerrois , et qu’il a pour parrain à cette occasion « Jean Dieu de Saint Jean peintre du roi »

Si on songe que Jean Dieu de Saint Jean aurait fait ce tableau l’année de sa mort (en 1695) Vincent aurait eu 18 ans, Anne Marc 16, Roland 15 ans, et Jean Louis que trois ans, le filleul du peintre.. Puis il (ou un autre graveur) aurait fait tout de suite la gravure basé sur ce tableau. Cela n’a aucun sens !

Je dirai que de placer ce tableau dans les années 1670/1680 correspond mieux avec :

1 – les manuscrits écossais (déposés avant 1685 à Edimburgh) 2 – le premier livre de Marais publié en 1686 3 – les gravures de Saint Jean (normalement fait après les tableaux) donc dans les années 1680/1690.

Finalement pour ajouter sur toute la reste de notre thèse est la décoration des chaussures. Uniquement les nobles à la cour de Louis XIV avaient le droit de porter des « talons rouges ». Le violiste dans le tableau de Blois et le tableau de Paris porte ces rubans rouges. Il faut aussi rappeler que Marin Marais était le fils d’un cordonnier….

© Jonathan Dunford, août 2006

(merci à Sylvia Abramowicz et Corinne Vaast pour la relecture du texte)

Ferrabosco A – Z montage d’un projet discographique

Dans les années 1977-78,  j’étais élève au conservatoire de New England à Boston ou je faisais mes études de viole de gambe. Bien qu’il y ait un département de musique ancienne, la viole de gambe était toujours très peu connue, surtout aux Etats-Unis. C’était lors d’un cours sur l’interprétation baroque menée par Daniel Stepner, violoniste baroque, que son épouse Laura Jeppesen nous a fait découvrir un nouvel interprète de la viole: Jordi Savall.

Ma passion pour Jordi Savall fut immédiate et je suis allé au plus vite au Harvard Bookstore où je me suis procuré tous les disques (33 tours à l’époque) de Jordi. Et ainsi a commencé l’écoute en boucle, à la maison, dans la voiture, etc. … de tout ce qu’il avait enregistré!  Il y avait les disques fondamentaux de Marais, Couperin et Forqueray; et parmi tous ces disques il y avait un vrai bijou, son disque des « Lessons for the Lyra Viol » :

écoutez ce disque ici

Jordi jouait en solo de la musique anglaise sur une viole que je ne connaissais pas auparavant: « la lyra-viole ». En exergue, Alfonso Ferrabosco, que je connaissais pour sa musique de consort, ignorant totalement qu’il avait composé pour cette « lyra-viole ». Je me souviens combien j’ai été tout de suite pris par la beauté de cette musique, le son de la viole de Savall et son interprétation magnifique.

Quelques années plus tard je me trouve élève du maître Catalan à Bâle. En me déplaçant chez moi à Bâle en vélo, je continuais d’écouter ces mystérieux « Lessons » en traversant les trois douanes de France, Allemagne et Suisse. Rien ne vaut Ferrabosco écouté ainsi par temps de brouillard la nuit dans les collines d’Allemagne du sud vers la frontière suisse!

Puis en 1980 mon maître a présenté un récital dans une salle proche de la cathédrale de Bâle. Il avait au moins trois violes différentes, et il jouait cette musique magnifique de Ferrabosco mais aussi de Corkine et Hume.

Bref j’ai été possédé par Alfonso Ferrabosco II et donc j’ai tout fait pour avoir des photocopies de cette musique.

Après des mois de tentatives j’ai eu finalement en mains propres le livre de Ferrabosco « Lessons for the Lyra Viol » publié à Londres en 1609 :

lyra copie

A vrai dire en examinant enfin la partition, j’ai été déçu! Elle était écrite en tablature et de surplus l’accord de la viole était très loin de l’accord habituel. Voici comment cette belle musique est présentée :

Capture d’écran 2014-04-13 à 18.44.54

J’ai donc résolu une fois pour toute à me mettre à l’apprentissage de la tablature et de comprendre le système d’accord utilisé dans cette musique.

Cette tablature est en fait un système graphique utilisée principalement par les luthistes qui indique le placement des doigts sur la touche de la viole. La lettre « a » par exemple indique la corde à vide, la lettre « b » la première frette, etc. La portée représente en fait les cordes et on indique leur valeur rythmique au-dessus des lettres. Ce système rend la « scordatura » facile, on ne réfléchit plus en termes de notes mais de position, et donc si le doigt joue une lettre « c » sur la troisième corde et la note réelle est un fa dièse ou un fa ou même un mi, cela nous est égal. Facile! Mais ce n’était pas une mince affaire pour un musicien qui avait déjà 11 ans de pratique avec la notation habituelle, de divorcer de la conception dièses, bémols et compagnie!

Mais je m’y suis acharné et au fur et à mesure, j’y suis arrivé!

Plus je m’engouffrais dans l’étude de cette musique, plus les questions se posaient; dans le livre de Ferrabosco il y a trois accords pour la viole. La première qui s’appelle par ailleurs « bandora-set » est,  depuis la corde la plus aiguë :

ré – la – fa – DO – FA – DO

Cet accord était aussi utilisé par Tobias Hume dans son livre publié 4 ans avant celui de Ferrabosco et ne posait donc pas de difficultés particulières. On monte la troisième corde d’un demi-ton et on descend les 5ème et 6ème cordes d’un ton.

Mais les deux autres façons d’accorder la viole dans ce livre présentaient plus de complications!

Les deuxième et troisième accords étaient (toujours depuis la corde la plus fine) :

ré la MI LA MI LA

ou bien

ré la RE LA RE LA

Cela équivaut pour les deux accords précités, une tessiture de ré aigu au LA grave – en d’autres termes, la même tessiture qu’une viole à 7 cordes de l’époque de Sainte-Colombe à peu près 50 ans plus tard outre-manche!

Par ailleurs Jordi a trouvé une solution unique pour ceci. Je l’ai vu à plusieurs reprises en concert  prendre la 4ème corde et la mettre à la place de la 7ème corde grave puis décaler les 7/6/5 cordes une corde plus haute sur le chevalet. Et je l’ai vu faire cela une fois en direct sur France-Musique!

En fait, cela vaut si l’on a une seule viole et que l’on doit jouer plusieurs accords dans un seul concert. Dans notre cas (et parfois celui de Savall aussi) on prend plusieurs violes et chaque instrument est monté avec l’accord qu’il faut.

Mais de monter la viole à six cordes avec une 7ème corde grave et par ailleurs mettre une corde spéciale pour la quatrième en LA au lieu de SOL grave ne donnait pas un résultat satisfaisant. La question qui se pose tout de suite à cette époque ou le luth est toujours roi, pourquoi cette musique de lyra viole en essence toujours très proche de la musique de luth est une quarte plus grave?

J’ai commencé des recherches, et j’ai trouvé des descriptions de la lyra-viole écrites à l’époque :

Un livre intitulé « A Booke of Lessons on the Lyro-Viol » qui appartenait à Sir Peter Leycester en 1659 contient des renseignements sur cette taille de viole. Sir Peter Leycester avait tout un « chest » ou ensemble de plusieurs tailles de violes (et le plus important une « lyra viole ») dont il avait hérité à Chester ou William Lawes a trouvé la mort.

« De jouer en soliste à la basse de viole requiert une excellente main pour manier l’instrument tendrement et doucement et comme l’harmonie est plus facile à comprendre en plusieurs parties simultanément, cela ne peut pas être mieux exprimé en notes qu’en lettres. Donc, les musiciens ont inventé ce système le plus facile à comprendre et pour apprendre: mais quand ils jouent dans des ensembles, cela est mieux exprimé en notes. La lyra viole ne doit pas être la plus grande des basses de viole, et doit être montées avec des cordes fines pour qu’elle puisse être accordé plus haute et être jouer plus doucement ».

Toujours un peu vague à mon goût. Heureusement,  grâce aux colloques sur la viole organisés par Christophe Coin, j’ai pris connaissance de ceci :

Oxford, Christ Church Library Ms. 1187. « The Talbot Manuscript »  (c.1694)

(Page 2): enfin un document de luthier très précis qui donne donc la taille de la corde vibrante de 71 cm (28 pouces)!

Selon les sources, « la lyra viole » avait une corde vibrante même plus longue que nos basses de viole actuelles!

Pour porter confusion à tout ce sujet il y a une viole qui était en exhibition au musée de Victoria Albert à Londres, avec une étiquette « Lyra-Viol ». Cet instrument copié par des luthiers à plusieurs reprises est en fait un ténor de viole! C’était la faute d’étiquetage de la part de musée qui est à l’origine de cette désinformation au sujet de la lyra viole.

Comme dans toutes les histoires de téléphone arabe il y a une base qui n’était en fait pas loin de la réalité. Un ténor de viole est accordé comme le luth: sa première corde est un sol aigu une quarte plus haute que la basse de viole qui a sa première corde accordée en ré.

Je rappelle que cette musique de Ferrabosco était publiée à une époque ou le luth était toujours le roi des instruments, et donc la musique pour la lyra viole est très proche en style. Accorder la lyra viole avec un LA grave comme une basse de viole française à 7 cordes donne à mes oreilles un contrepoint dans les graves confondu et une sonorité éloignée de celle d’un luth.

En enregistrant John Maynard’s « Twelve Wonders of the World » en 2005 John+Maynard+-+The+Twelve+Wonders+of+the+World qui a été publié en 1611 j’ai eu une lueur d’éclaircissement en ce qui concerne la vrai hauteur de son pour cette lyra-viole. Voici ce qui était stipulé dans ce livre :

Capture d’écran 2014-04-13 à 18.50.40

Maynard luthiste et violiste dit donc,

« Vous devrez accorder votre basse de viole une note plus basse que le luth, pour jouer cette Pavane, par sa tessiture : et il convient mieux à la tonalité, parce qu’ainsi on évite les bémols et dièses : ainsi pour la Gaillarde qui suit ».

C’est à dire que Maynard, au moins pour ces deux pièces, montait la chanterelle de la basse de viole (la première corde) à fa,  un ton plus bas que celle du luth!

En fait cela donne un diapason pour la lyra-viole de la = environ 500 hz. et donc correspond premièrement à la description ci-dessus de Leycester :

« La lyra viole ne doit pas être la plus grande des basses de viole, et doit être montée avec des cordes fines pour qu’elle puisse être accordée plus haute et être jouée plus doucement ».

Puis si on regarde bien les diversités de diapasons depuis le 15ème siècle :

Année Hertz Lieu
1495 506 Orgue de la cathédrale de Halberstadt
1511 377 Schlick organiste à Heidelberg
1543 481 Sainte-Catherine Hambourg
1636 504 Mersenne ton de chapelle
1636 563 Mersenne ton de chambre
1640 458 Orgues des franciscains à Vienne
1648 403 Épinette Mersenne
1688 489 Saint-Jacques Hambourg
1700 404 Paris ton moyen
1750 390 Orgue Dallery de l’abbaye de Valloires
1751 423 Diapason Haendel
1780 422 Diapason Mozart
1810 432 Paris diapason moyen
1819 434 Cagniard de La Tour
1823 428 Opéra comique Paris
1834 440 Scheibler congrès de Stuttgart
1856 449 Opéra de Paris Berlioz
1857 445 San Carlos Naples
1859 435 Diapason français arrêtés ministériels
1859 456 Vienne
1863 440 Tonempfindungen Helmholtz
1879 457 Pianos Steinway USA
1885 435 Conférence de Vienne
1899 440 Covent Garden
1939 440 Diapason international normal
1953 440 Conférence de Londres

Je ne suis pas étonnée de ce diapason pour cet instrument.

Ainsi notre viole a la taille d’une basse et presque la hauteur de son d’une viole ténor, d’où vient la confusion!

Comme souvent dans la musicologie, tout cela est intéressant mais en pratique, pas aussi facile que cela.

Monter une basse de viole avec un diapason élevé ne pose pas de problème particulier pour les cordes graves. Etant donné que les cordes filées en métal n’étaient pas en usage à cette époque en Angleterre, avec le diapason élevé nous pourrions donc monter les basses entièrement en boyau sans filetage.

Par contre pour ce qui concerne la première corde chanterelle il faudrait trouver une solution ou la corde sur une longueur de diapason chez nous de 67/68 cms n’est pas trop fine. Sinon la corde risque de casser trop souvent.

Je suis donc en plein travail avec mon ami Mimmo Peruffo :

index.php?option=com_content&view=article&id=6&Itemid=600&lang=en

qui va nous faire fabriquer les cordes nécessaires. Nous avions déjà fait appel à lui quand nous avons présenté en parti ce programme pour le festival d’Ile de France en 2003. Notre luthier Judith Kraft était sceptique quant à ce diapason. Nous avons monté en cachette les deux violes avec les cordes de Mimmo (cordes Aquila) et on est allé faire un réglage chez Judith sans rien dire. Elle a trouvé la deux basses bien équilibrées et quand on a dévoilé qu’en réalité elles étaient monté toutes les deux à la- 500hz elle était étonnée!

Mimmo Peruffo a donc trouvé les diamètres suivants :

ré: 62 HR
la: 79 HR
RE: 116 HR
LA: 150HR (ou 160V)
RE: 220C (ou 220V)
LA: 300C (ou 300V)
Quelques clichés de l’enregistrement du 29 mars au 2 avril 2013 :

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Jonathan DUNFORD (corrigé par Sylvia Abramowicz)

 

Et le CD qui sort le 21 avril 2014

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Vous pouvez désormais écouter des extraits et l’acheter ici :

http://www.amazon.fr/s/ref=nb_sb_noss?__mk_fr_FR=ÅMÅŽÕÑ&url=search-alias%3Dclassical&field-keywords=Ferrabosco+lessons+for+the+lyra+viol

 

Rameau et Berlin

N.B. Cliquez sur les liens (couleur bleue) dans l’article pour avoir de plus amples renseignements sur les sujets évoqués.

J’ai eu le bonheur dans les années 90/2000 d’assister aux colloques sur la viole dans tous ses états organisés par Christophe Coin à Limoges. A cette occasion j’avais rencontré, puis passé du temps avec mon collègue Vittorio Ghielmi qui a travaillé avec beaucoup d’ardeur sur le compositeur de viole Johann Gottlieb Graun (27 octobre 1703 – 28 octobre 1771) puis Ernst Christian Hesse (14 avril 1676  – 16 mai 1762) et son fils Ludwig Christian Hesse (8 novembre 1716 – 15 septembre 1772).

Vittorio m’a fait découvrir quelques transcriptions pour trois violes que le fils Hesse avait fait des oeuvres de Rameau. Il a ensuite eu la gentillesse de me faire parvenir ces pièces (quelques danses) que nous avons joué beaucoup en France et Navarre.

A un moment donné, Sylvia m’a suggéré de contacter la Staatsbibliothek de Berlin pour avoir les autres pièces; je l’ai fait au début de l’été 2007.

Quelques semaines plus tard j’ai reçu un manuscrit, mais il ne s’agissait nullement du manuscrit en question! C’était les photocopies d’une partie de basse d’opéras de Rameau et d’autres compositeurs sans les sujets, et de plus, ce n’était pas du tout des mêmes oeuvres que Vittorio m’avait gracieusement fait parvenir!

J’ai recontacté la bibliothèque qui s’est excusée puis m’a envoyé le manuscrit avec les sujets; mais ce n’était toujours pas le bon manuscrit! Ce que j’ai reçu était ceci: titre

Nous avons commencé à déchiffrer les motets de Campra et à vrai dire, nous les avons trouvé sans un grand intérêt. Par contre les pièces qui suivaient de Rameau étaient magnifiques et les transcriptions de Hesse brillantes!

Notre curiosité était piquée et j’ai donc commencé à creuser plus sur ce manuscrit et sur la provenance des pièces de Rameau.

J’ai d’abord contacté l’éditeur allemand Günter von Zadow qui publie les éditions Günterberg : http://www.guentersberg.de/index-en.htm

Il m’avait dit avoir vu aussi le manuscrit et avoir déchiffré les pièces de Campra sans aller plus loin. Il n’avait pas vu qu’en fait le manuscrit décelait des pièces de Rameau.

Grâce à l’erreur de la bibliothèque de Berlin en pleine période estivale nous étions donc les détenteurs d’un manuscrit inédit de transcriptions des oeuvres de Rameau pour les violes par Hesse le fils!

Le manuscrit se présente ainsi :

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Nous allons revenir en peu en arrière pour comprendre le contexte de ces transcriptions dans l’Allemagne de la deuxième moitié du dix-huitième siècle quand la viole commençait à perdre face aux violons et violoncelles.
Cet arrangement est donc l’œuvre de Ludwig Christian Hesse (1716-1772), compositeur et grand virtuose de la viole de gambe pendant les deux règnes de ses protecteurs prussiens, Frédéric le Grand et Frédéric-Guillaume II. Le père de Hesse, lui-même gambiste renommé, avait été l’élève de Marais et Forqueray, musiciens de Louis XIV. Probablement impressionné par la soixantaine de représentations qu’avait connu l’ouvrage de Rameau en France, ou tout simplement touché par le charme immédiat de cette partition à la fois légère et tendre, Hesse en réalisa une version « de chambre » deux violes, bien faite pour séduire son public berlinois.

Le père de Ludwig Christian était donc un violiste célèbre qui perpétuait la tradition de la musique française jouée sur une basse de viole à 7 cordes. Sa mère était chanteuse. Les seuls oeuvres que nous avons de fils Hesse sont donc les transcriptions d’opéras principalement pour les violes. Les manuscrits (un dizaine) sont toujours à la Staatsbibliothek, Berlin.

Aussitôt j’ai commencé un long travail de transcription sur ordinateur des pièces de Rameau. Il s’agissait comme stipulé dans le titre de:

L’enlèvement d’Adonis, la Lire Enchantée,

Anacréon, Siberis, Balets p. Mr Rameau

En d’autres termes, il s’agit des actes de ballets de Rameau avec le titre « les Surprises de l’Amour ». Ce mini-opéra était un des plus populaires du vivant de Rameau ayant été joué au moins 60 fois!

L’éditeur les éditions Günterberg a décidé avec mon aide de publier la musique, et pendant tout l’été de 2007 je me suis mis aux transcriptions.

Nous avons donc décidé de nous procurer le manuscrit original des  Surprises de l’Amour de Rameau à la Bibliothèque Nationale ici à Paris pour comparer note à note les transcriptions de Hesse contre l’original. Tout de suite, nous  avons retenu notre souffle! Hesse, tel un magicien a extrait l’essence de chaque mouvement, chaque note, chaque harmonie de Rameau tout en réduisant ceci à une viole solo avec basse continue! Comme faisait les italiens à l’époque de la viola bastarda,  Hesse puisait une phrase dans la partie de premier violon, puis dans celle du basson, et ensuite du deuxième violon, etc tout en tissant une phrase logique qui n’avait rien à envier à l’original de Rameau!

Au niveau de la notation nous avions des questions: souvent, (regardez la page ci-dessus) Hesse ajoute des chiffres « 3 » ou « 6 » « # » et cela n’a rien à voir avec une basse chiffrée, car c’est dans la partie de viole solo! En fait grâce à une thèse de Michael O’Loghlin nous avons trouvé la réponse il s’agissait d’ajouter soit des tierces soit des sixtes et parfois en grande quantité en série. Même le diable Forqueray n’avait pas inventé de tels exploits techniques!

Il était donc naturel d’envisager un projet d’enregistrement. Je ne pouvais pas par contre me contenter de jouer à 2 violes un opéra de Rameau même avec un tel génie de transcription. J’ai donc décidé d’intégrer à nouveau des airs chantés, en prenant une chanteuse soprano pour animer les parties variées de rôles féminins dans les différents actes, et un chanteur basse pour l’air des gladiateurs, Bacchus et compagnie. Nous avons aussi décidé d’ajouter le clavecin pour jouer la basse continue mais aussi les ritournelles obligées puisées dans le manuscrit de Rameau lui-même à la Bibliothèque Nationale de Paris.

Cette tache n’était pas trop compliquée car Hesse avait tellement bien puisé dans la partition d’origine de Rameau. C’était donc une simple tâche de restituer la voix quand la viole solo a été utilisée pour la remplacer, et donc décider d’une autre voix pour la viole soliste. Après plusieurs mois de travail en collaboration avec le claveciniste Pierre Trocellier nous sommes arrivés à une version alléchante.

Nous voici en concert :

La maison de disque Alpha a donc décidé d’enregistrer le programme en septembre 2009 et voici le résultat :

Vous pouvez écouter la totalité ici gratuitement

Ou si vous voulez l’acheter cliquer ici.

L’édition des pièces est ici

Voici ici une très belle page dans le blog Passée des Arts par notre ami Jean-Christophe Pucek

Jonathan Dunford

Bacilly – histoire d’une découverte

Il y a deux ans une amie et élève de Sylvia a décidé d’aller au vert et de déménager de chez elle à Paris en Bourgogne.

Cécile (l’élève en question) a donc vendu sa boutique de partitions de flûte traversière et a organisé une fête pour son départ.
Sa soeur musicienne et bouquiniste lui a offert pour cette occasion trois livres de musique ancienne  dont deux étaient des éditions originales des Pièces de Viole de Marin Marais.

Elle avait en fait trouvé ces livres dans un château dans la région de Blois; le châtelain vendait son château et devait donc se débarrasser de toute sa bibliothèque. Il rangeait les livres dans des bacs et quand Béatrice est arrivée, il lui a donné la consigne: « prenez ce que vous voulez »!

Cécile nous a invité le lendemain à regarder de plus près ces fameux livres de Marais. Pour ma part je trouve (à part la valeur sentimentale) peu d’intérêt dans ces livres, sauf si par hasard on trouve des annotations telles que des doigtés, dynamiques, coups d’archet ou autres indications. Ces deux livres (IV livre de Marais de 1717 sujet + basse) n’avaient donc pour moi que peu intérêt.

Et puis Cécile nous a proposé de regarder un autre livre d’airs « non-identifiés ». A mon étonnement j’ouvre ce livre pour découvrir ceci :Capture

C’est à dire près de 500 pages de « doubles » (ornements/variations sur des airs) français!

D’emblée, Sylvia et moi nous sommes rendu compte de l’importance d’une telle découverte : nous avons beaucoup d’exemplaires de variations au 17ème siècle venant d’Angleterre, d’Italie, et même d’Allemagne mais peu de l’époque de Lully en France!

J’ai immédiatement contacté notre ami Thomas Lecomte du Centre de Musique Baroque de Versailles à venir chez nous (où le manuscrit a séjourné pendant quelques mois) et il a commencé  l’identification de ses airs qui pour le moment restait un grand mystère.

Presque tout de suite Thomas Lecomte a pu identifier la majorité de ces airs d’être de la plume du compositeur Bertrand de Bacilly, célèbre pour ceci :

Nous avions peu d’airs de Bacilly, et de plus, comme je l’ai constaté auparavant, peu des doubles de lui! Par ailleurs le manuscrit contenait l’air « Estoilles d’un nuict » pour basse solo; cet air est mentionné dans les écrits de l’époque, mais il était jusqu’à présent perdu.

Nous avons donc décidé d’enregistrer cette belle musique inconnue pour mon ami Pierre Dyens et son label SAPHIR.
Voici donc le résultat :

L’acquisition du  manuscrit est en bonne voie pour être accueilli dans la collection musique par la Bibliothèque Nationale de France .

Quant à l’enregistrement,  il a reçu l’Orphée d’or pour la meilleure initiative discographique de l’année décernée en 2012 par l’Académie du Disque Lyrique à l’Opéra de la Bastille.

Et voici notre prestation lors de cette cérémonie au mois de mai de cette année :

Si vous voulez écouter ou acheter l’album il est ici :
CD de Bacilly

Jonathan DUNFORD