Rameau et Berlin

N.B. Cliquez sur les liens (couleur bleue) dans l’article pour avoir de plus amples renseignements sur les sujets évoqués.

J’ai eu le bonheur dans les années 90/2000 d’assister aux colloques sur la viole dans tous ses états organisés par Christophe Coin à Limoges. A cette occasion j’avais rencontré, puis passé du temps avec mon collègue Vittorio Ghielmi qui a travaillé avec beaucoup d’ardeur sur le compositeur de viole Johann Gottlieb Graun (27 octobre 1703 – 28 octobre 1771) puis Ernst Christian Hesse (14 avril 1676  – 16 mai 1762) et son fils Ludwig Christian Hesse (8 novembre 1716 – 15 septembre 1772).

Vittorio m’a fait découvrir quelques transcriptions pour trois violes que le fils Hesse avait fait des oeuvres de Rameau. Il a ensuite eu la gentillesse de me faire parvenir ces pièces (quelques danses) que nous avons joué beaucoup en France et Navarre.

A un moment donné, Sylvia m’a suggéré de contacter la Staatsbibliothek de Berlin pour avoir les autres pièces; je l’ai fait au début de l’été 2007.

Quelques semaines plus tard j’ai reçu un manuscrit, mais il ne s’agissait nullement du manuscrit en question! C’était les photocopies d’une partie de basse d’opéras de Rameau et d’autres compositeurs sans les sujets, et de plus, ce n’était pas du tout des mêmes oeuvres que Vittorio m’avait gracieusement fait parvenir!

J’ai recontacté la bibliothèque qui s’est excusée puis m’a envoyé le manuscrit avec les sujets; mais ce n’était toujours pas le bon manuscrit! Ce que j’ai reçu était ceci: titre

Nous avons commencé à déchiffrer les motets de Campra et à vrai dire, nous les avons trouvé sans un grand intérêt. Par contre les pièces qui suivaient de Rameau étaient magnifiques et les transcriptions de Hesse brillantes!

Notre curiosité était piquée et j’ai donc commencé à creuser plus sur ce manuscrit et sur la provenance des pièces de Rameau.

J’ai d’abord contacté l’éditeur allemand Günter von Zadow qui publie les éditions Günterberg : http://www.guentersberg.de/index-en.htm

Il m’avait dit avoir vu aussi le manuscrit et avoir déchiffré les pièces de Campra sans aller plus loin. Il n’avait pas vu qu’en fait le manuscrit décelait des pièces de Rameau.

Grâce à l’erreur de la bibliothèque de Berlin en pleine période estivale nous étions donc les détenteurs d’un manuscrit inédit de transcriptions des oeuvres de Rameau pour les violes par Hesse le fils!

Le manuscrit se présente ainsi :

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Nous allons revenir en peu en arrière pour comprendre le contexte de ces transcriptions dans l’Allemagne de la deuxième moitié du dix-huitième siècle quand la viole commençait à perdre face aux violons et violoncelles.
Cet arrangement est donc l’œuvre de Ludwig Christian Hesse (1716-1772), compositeur et grand virtuose de la viole de gambe pendant les deux règnes de ses protecteurs prussiens, Frédéric le Grand et Frédéric-Guillaume II. Le père de Hesse, lui-même gambiste renommé, avait été l’élève de Marais et Forqueray, musiciens de Louis XIV. Probablement impressionné par la soixantaine de représentations qu’avait connu l’ouvrage de Rameau en France, ou tout simplement touché par le charme immédiat de cette partition à la fois légère et tendre, Hesse en réalisa une version « de chambre » deux violes, bien faite pour séduire son public berlinois.

Le père de Ludwig Christian était donc un violiste célèbre qui perpétuait la tradition de la musique française jouée sur une basse de viole à 7 cordes. Sa mère était chanteuse. Les seuls oeuvres que nous avons de fils Hesse sont donc les transcriptions d’opéras principalement pour les violes. Les manuscrits (un dizaine) sont toujours à la Staatsbibliothek, Berlin.

Aussitôt j’ai commencé un long travail de transcription sur ordinateur des pièces de Rameau. Il s’agissait comme stipulé dans le titre de:

L’enlèvement d’Adonis, la Lire Enchantée,

Anacréon, Siberis, Balets p. Mr Rameau

En d’autres termes, il s’agit des actes de ballets de Rameau avec le titre « les Surprises de l’Amour ». Ce mini-opéra était un des plus populaires du vivant de Rameau ayant été joué au moins 60 fois!

L’éditeur les éditions Günterberg a décidé avec mon aide de publier la musique, et pendant tout l’été de 2007 je me suis mis aux transcriptions.

Nous avons donc décidé de nous procurer le manuscrit original des  Surprises de l’Amour de Rameau à la Bibliothèque Nationale ici à Paris pour comparer note à note les transcriptions de Hesse contre l’original. Tout de suite, nous  avons retenu notre souffle! Hesse, tel un magicien a extrait l’essence de chaque mouvement, chaque note, chaque harmonie de Rameau tout en réduisant ceci à une viole solo avec basse continue! Comme faisait les italiens à l’époque de la viola bastarda,  Hesse puisait une phrase dans la partie de premier violon, puis dans celle du basson, et ensuite du deuxième violon, etc tout en tissant une phrase logique qui n’avait rien à envier à l’original de Rameau!

Au niveau de la notation nous avions des questions: souvent, (regardez la page ci-dessus) Hesse ajoute des chiffres « 3 » ou « 6 » « # » et cela n’a rien à voir avec une basse chiffrée, car c’est dans la partie de viole solo! En fait grâce à une thèse de Michael O’Loghlin nous avons trouvé la réponse il s’agissait d’ajouter soit des tierces soit des sixtes et parfois en grande quantité en série. Même le diable Forqueray n’avait pas inventé de tels exploits techniques!

Il était donc naturel d’envisager un projet d’enregistrement. Je ne pouvais pas par contre me contenter de jouer à 2 violes un opéra de Rameau même avec un tel génie de transcription. J’ai donc décidé d’intégrer à nouveau des airs chantés, en prenant une chanteuse soprano pour animer les parties variées de rôles féminins dans les différents actes, et un chanteur basse pour l’air des gladiateurs, Bacchus et compagnie. Nous avons aussi décidé d’ajouter le clavecin pour jouer la basse continue mais aussi les ritournelles obligées puisées dans le manuscrit de Rameau lui-même à la Bibliothèque Nationale de Paris.

Cette tache n’était pas trop compliquée car Hesse avait tellement bien puisé dans la partition d’origine de Rameau. C’était donc une simple tâche de restituer la voix quand la viole solo a été utilisée pour la remplacer, et donc décider d’une autre voix pour la viole soliste. Après plusieurs mois de travail en collaboration avec le claveciniste Pierre Trocellier nous sommes arrivés à une version alléchante.

Nous voici en concert :

La maison de disque Alpha a donc décidé d’enregistrer le programme en septembre 2009 et voici le résultat :

Vous pouvez écouter la totalité ici gratuitement

Ou si vous voulez l’acheter cliquer ici.

L’édition des pièces est ici

Voici ici une très belle page dans le blog Passée des Arts par notre ami Jean-Christophe Pucek

Jonathan Dunford

Bacilly – histoire d’une découverte

Il y a deux ans une amie et élève de Sylvia a décidé d’aller au vert et de déménager de chez elle à Paris en Bourgogne.

Cécile (l’élève en question) a donc vendu sa boutique de partitions de flûte traversière et a organisé une fête pour son départ.
Sa soeur musicienne et bouquiniste lui a offert pour cette occasion trois livres de musique ancienne  dont deux étaient des éditions originales des Pièces de Viole de Marin Marais.

Elle avait en fait trouvé ces livres dans un château dans la région de Blois; le châtelain vendait son château et devait donc se débarrasser de toute sa bibliothèque. Il rangeait les livres dans des bacs et quand Béatrice est arrivée, il lui a donné la consigne: « prenez ce que vous voulez »!

Cécile nous a invité le lendemain à regarder de plus près ces fameux livres de Marais. Pour ma part je trouve (à part la valeur sentimentale) peu d’intérêt dans ces livres, sauf si par hasard on trouve des annotations telles que des doigtés, dynamiques, coups d’archet ou autres indications. Ces deux livres (IV livre de Marais de 1717 sujet + basse) n’avaient donc pour moi que peu intérêt.

Et puis Cécile nous a proposé de regarder un autre livre d’airs « non-identifiés ». A mon étonnement j’ouvre ce livre pour découvrir ceci :Capture

C’est à dire près de 500 pages de « doubles » (ornements/variations sur des airs) français!

D’emblée, Sylvia et moi nous sommes rendu compte de l’importance d’une telle découverte : nous avons beaucoup d’exemplaires de variations au 17ème siècle venant d’Angleterre, d’Italie, et même d’Allemagne mais peu de l’époque de Lully en France!

J’ai immédiatement contacté notre ami Thomas Lecomte du Centre de Musique Baroque de Versailles à venir chez nous (où le manuscrit a séjourné pendant quelques mois) et il a commencé  l’identification de ses airs qui pour le moment restait un grand mystère.

Presque tout de suite Thomas Lecomte a pu identifier la majorité de ces airs d’être de la plume du compositeur Bertrand de Bacilly, célèbre pour ceci :

Nous avions peu d’airs de Bacilly, et de plus, comme je l’ai constaté auparavant, peu des doubles de lui! Par ailleurs le manuscrit contenait l’air « Estoilles d’un nuict » pour basse solo; cet air est mentionné dans les écrits de l’époque, mais il était jusqu’à présent perdu.

Nous avons donc décidé d’enregistrer cette belle musique inconnue pour mon ami Pierre Dyens et son label SAPHIR.
Voici donc le résultat :

L’acquisition du  manuscrit est en bonne voie pour être accueilli dans la collection musique par la Bibliothèque Nationale de France .

Quant à l’enregistrement,  il a reçu l’Orphée d’or pour la meilleure initiative discographique de l’année décernée en 2012 par l’Académie du Disque Lyrique à l’Opéra de la Bastille.

Et voici notre prestation lors de cette cérémonie au mois de mai de cette année :

Si vous voulez écouter ou acheter l’album il est ici :
CD de Bacilly

Jonathan DUNFORD

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Sylvia ABRAMOWICZ & Jonathan DUNFORD

pour l’ensemble A 2 Violes Esgales

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photo par Alexander JE Bradley © 2012